Manifeste de la bédée mal branlée
Résumé: Mal dessiner, c'est bien.
Petite histoire de prout
P R O U T est un webcomic dessiné sur Paint XP par moi, Velvet Aubry. Les premiers strips datent de la fin Février 2024.
Assommée par 6 années d'études d'art pendant lesquelles j'ai bien compris que tout le monde dessinait bien mieux que moi et que mon humour cartoonesque n'avait pas sa place dans le domaine de l'art contemporain, j'ai fini par tout simplement abandonner mon rêve d'adolescente : faire de la bande dessinée.
Pour me détacher de toute la honte qui me colle aux doigts lorsque j'ose poser le crayon sur le papier, j'ai finit par créer un webcomic de la qualité la plus médiocre possible sur le logiciel de dessin le plus mauvais possible : Paint XP. Mon but ? Dessiner vite sans se poser de question avec l'approche la plus amatrice possible, tout comme on faisait des jeux flash mal branlés en 2000 et qu'on les publiait sans vergogne.
Bien dessiner (non)
« Bien dessiner » est une injonction à l'utilité et à la maîtrise parfaite et sans reproche de son œuvre, une injonction que je ne connais que trop bien et qui vous est sans doute familière aussi. C'est cette même injonction qui nous empêche d'apprendre à jouer d'un instrument, à cuisiner ou à parler une langue étrangère : la peur de l'échec.
« Bien dessiner » est l'idée selon laquelle mon dessin, en tant qu'individu, n'a de valeur que si et seulement s'il relève d'une maîtrise technique et d'une adhérence à des standards comparatifs. Autrement dit, si je faisais des dessins moches, comment pourrais-je oser me prétendre dessinatrice alors que je ferais honte aux « vrais » dessinateurices, à celleux qui savent vraiment « bien dessiner » ?
L'impulsion du joli dessin réseaux-sociaux-compatible est cette idée qui a également conduit des armadas d'abrutis à concevoir des logiciels énergivores d'apprentissage de masse capables de reproduire un semblant d'image réaliste, lisse ou techniquement « bien faite ». L'une des motivations de cette idiotie démesurée est de faire de « jolies » images à la pelle, normées et codifiées (en plus de désempouvoirer et de voler les artistes, bande de batards).
La peur de l'échec entraîne un découragement, qui entraîne à son tour une absence de pratique et d'expérience, ce qui renforce davantage la peur de l'échec. C'est ni plus ni moins un serpent qui se mord la queue. Comment briser cette peur ? Comment la détourner ?
La médiocrité : s'affranchir des verrous
Ma réponse est un contre-pied : mal dessiner. Je dois reconnaître qu'il y a énormément de gens talentueux dans ce monde. Néanmoins, l'existence de ces talents ne dois pas m'empêcher d'être médiocre.
Oui, la réalité, c'est que j'ai le droit à la médiocrité.
J'ai le droit de faire de la merde.
Nous avons le droit d'être médiocres.
Qui m'empêche de dessiner des personnages en bâtons moches et d'écrire avec trois fautes d'orthographe par mot ? PER-SONNE.
Tuez le prof humiliant qui est en vous et tuez le capitaliste qui vous pourrit de l'intérieur. Qui va vous arrêter pour vous dire que vos dessins n'ont pas de valeur ? Personne, si ce n'est un ou deux pauvres connards qui pensent savoir tout mieux que vous.
Mon dessin est politique, ma démarche est artistique et je t'emmerde.
Si j'ai choisi d'appeller ce webcomic "PROUT", c'est pas seulement pour l'effet comique du bruit de pet qu'il évoque : c'est aussi une métaphore ingrate de la création ignoble qu'il représente. PROUT n'est pas là pour plaire. Au delà de la dérision poussée à l'extrême, PROUT se moque éperduement d'être joli et embrasse au contraire la laideur de toute son âme.
PROUT est aussi conçu pour être compatible avec ma santé mentale. Je veux pouvoir dessiner avec le moins de friction possible en ayant peu de temps disponible, et je veux pouvoir ne pas être productive pendant de longues périodes puis pouvoir me remettre à dessiner PROUT à nouveau, sans me sentir à la ramasse.
PROUT a, à mon sens, une démarche anti-capitaliste. PROUT est aussi un commentaire sur ce qui fait la valeur d'un dessin ou d'une création. Enfin, PROUT représente de manière directe et frontale la vie minoritaire d'une personne non-binaire, polyamoureuse et handipsy, sous tous ses aspects : ses difficultés, ses troubles, ses joies, son intimité, ses obsessions.
Ce webcomic se situe dans la continuité de pièces autobiographiques telles que Reflet, A Day in the Life of Rocky, ou encore Je Fais Pousser des Ronces, à la différence près que son approche est comique et absurde.
Les pôtites inspirations de P R O U T
Lesbiennes & brocolis
Un meme culte de la culture lesbienne francophone. C'est mon inspiration principale. Ça raconte l'histoire d'une meuf qui essaie de présenter son amoureuse à ses parents en déni de son lesbiannisme, et forcément, rien ne se passe bien !
Ça va la vie ?, par Oeil de saturne
Une BD autobiographique écrite et dessinée par une copaine bi-polaire, traitant principalement de sujets liés aux troubles mentaux et handicaps psychologiques. Bien que son registre de couleurs, de langage et de dessin diffère complètement de PROUT, Ça va la vie ? est fait pour qu'en le lisant, des personnes se disent « ah putain, moi aussi ». C'est à la fois une question de représentation et d'empathie, et c'est ça qui m'inspire. (Vraiment, allez voir son taff ça vaut le coup promis !)
Leslie & Brianne, par Keith Stack
Leslie & Brianne est un couple de lesbiennes farfelues et crades qui se réfèrent souvent à la culture pop. Elles me font beaucoup rire. Ce que j'aime chez elles, c'est qu'elles ne sont pas glam ni particulèrement romantiques. Leur maison est sale, les murs ont des trous et des fissures desquelles surgissent des mille-pates et des rongeurs, il y a des salissures partout et du PQ par terre, on les voit vomir, assises aux chiottes, se blesser comiquement, traîner à poil…
Je me souviendrai toujours de ce dessin où on voyait Brianne annoncer à son amoureuse avec fierté « Eh regarde, c'est ma cigarette électronique goût vomi ! », prendre une grande bouffée, puis vomir et péter en même temps de manière absolument cartoonesque devant le regard ahuri de Leslie, en déplorant : « Ahhhh mais ça a mauvais goût la cigarette au vomi !!! »
Personnellement, j'aime le lesbiannisme cracra et répugnant. Ça me fait toujours inévitablement rire.